Pokémon Go, reflet de l’état de l’information sur le web
Récemment j’ai été mis dans des situations qui m’ont permis de porter un regard neuf sur des choses que je croyais acquises. Depuis, j’essaye de plus en plus de prendre du recul sur ce que je lis et vois. Un beau jour il m’a pris l’envie – comme une envie de pisser – de réfléchir sur ce que le « phénomène » Pokémon Go nous dit de l’état de l’information sur le web. Je ne vise pas ici à vous apprendre grand chose. Mais essayons, ensemble, de comprendre ce qu’il s’est passé et pourquoi.
NB : Avant de rentrer dans le vif du sujet, une petite mise au point : j’ai la prétention de connaître un minimum le web. Mon métier étant de créer des sites, je sais à peu près comment fonctionne la bête. Partant de ce postulat, j’espère que vous ne rejetterez pas en bloc ce que j’aurai écris. Néanmoins il est possible que certains morceaux de l’équation dont je vais parler ci-dessous m’échappent. Si c’est le cas, n’hésitez pas à me le faire remarquer dans les commentaires. Cet article existe pour pousser à la réflexion, que ce soit la votre ou la mienne.
Remise en perspective
Vous l’aurez compris, ce billet n’aura pas Pokémon Go comme sujet exclusif. Ce que j’aimerais montrer ici, c’est comme il est important de prendre du recul sur les informations qu’on nous présente et de se demander pourquoi on nous les présente. Personnellement, deux choses m’ont récemment poussé à remettre en cause le flux d’informations que je recevais. La première : la vidéo « Le journaliste » d’Usul. Vous pourrez arguer qu’Usul y défend ses propres opinions mais je trouve que, contrairement à ses autres vidéos où il défend sont point de vue, il présente ici des faits. Il montre comment est triée et traitée l’information. Sa démarche me semble honnête et, quand bien même on est pas d’accord avec lui, sa vidéo peut au moins nous faire voir d’un œil nouveau les médias et leurs messages. Deuxième chose, la découverte de la chaîne Youtube Hygiène mentale. Toute cette chaîne traite de l’esprit critique et de la remise en cause de ses opinions. Je ne peux que vous conseiller de regarder ces vidéos qui sont fort intéressantes.
Bref, revenons maintenant à notre sujet principal : Pokémon Go et la trace qu’il a laissé dans le/mon web.
Pokémon Go : attrapez-les tous (les clics) !
Je ne vous apprendrai rien en vous disant que Pokémon Go a fait un énorme lancement. En plusieurs jours, moult diagrammes nous montraient que le jeu générait déjà plus d’argent que tous les autres jeux mobiles réunis. Les geeks/nerds/nolife/gens (rayez la/les mentions inutiles) sortaient de chez eux ! Plus fou encore, il entraient en communication orale avec de parfaits inconnus partageant le même loisir !
Les internets pouvant faire une montagne d’une taupinière, vous imaginez (et avez surement subi) le raz-de-marée d’articles traitant du jeu de près, de loin, voire même « pas du tout, mais on va quand même le mettre dans l’article pour faire genre ».
Je ne me souvient pas avoir déjà vu un événement trivial prendre autant d’ampleur. Pourtant, tout le monde a récupéré Pokémon Go pour le mettre à sa sauce. C’est d’ailleurs ce qu’explique cet article : les médias/personnalités ont réussi à relier le jeu de Niantic à tout et n’importe quoi.
Alors oui, le jeu bat tous les records pour un jeu mobile. Mais ça n’en reste pas moins un jeu mobile ! Un tel jeu mérite-t-il d’envahir à ce point le web ? D’un point de vue purement factuel, je ne pense pas. Alors pourquoi tout le monde s’est-il jeté sur le sujet ? De mon point de vue, voici l’événement qui a mis le feu aux poudres. Après ça, l’ensemble des sites a fait feu de tout bois pour qu’un maximum de papiers fassent référence à Pokémon. Cet événement : le voici.
Voici le moment où l’expression « pokemon go » a été plus recherchée que « porn » sur Google. A partir de là, plus rien ne pouvait les arrêter. Il faut bien comprendre qu’une majorité de sites web « pro » de l’information tournent grâce à la pub. Donc quand un sujet tout public est plus demandé que le sujet habituellement numéro un des internets, la guerre est déclarée. Vous vous devez d’apparaître en première page de Google pour faire rentrer un maximum d’argent. Ne pas capitaliser sur cette affluence de clics serait stupide. Voici donc ce qu’un site (ne basant même pas ses revenus uniquement sur la publicité) nous a offert :
« Pire », voici le premier résultats de cette recherche :
Alors oui, je sais que « c’est le jeu ». Je sais que c’est Google qui fait la pluie et le beau temps sur le web (surtout en France, d’ailleurs). Mais est-on réellement obligé d’en arriver là ? Pour les sites basant leur revenus essentiellement sur la publicité, c’est malheureusement le cas. Encore que, j’ai du mal à voir l’intérêt d’essayer de se positionner là où tout le monde est déjà. C’est d’ailleurs une des règles à retenir pour ressortir sur Google : il ne faut pas viser les termes trop concurrentiels, car il y aura toujours meilleur que vous.
Vous me direz, des articles vides de sens, de contenu, voire même contenant des informations erronées, on en voit tous les jours. Il suffit de savoir qui les produit pour les éviter. En revanche, un site comme Le Monde, qui utilise un système freemium (un site en accès gratuit mais dont certains articles nécessitent un abonnement), doit-il participer à cette course à l’échalote ? La réponse à cette question est très complexe et je ne pense pas être suffisamment informé pour y répondre. Le moins que je puisse faire, c’est prévenir de la « dérive » que ce genre de comportements peut entraîner. L’exemple de l’article de Yann Moix fera office de référence ici. L’article parle d’un sujet on ne peut plus sérieux et semble traiter le sujet avec ce même sérieux. Néanmoins, « Pokémon Go » y est glissé, ni vu ni connu. Les spécialistes des mots-clés reconnaîtront là l’art subtil de la rédaction pour le web. Toujours caser des mots-clés populaires sur Google. C’est ici fait. Mais est-ce vraiment pertinent ? Sur le fond comme sur la forme, je pense que la référence au jeu n’est que très superficielle. Le jeu n’existerait pas, le fond de l’article serait inchangé. Donc cette référence ne serait là que pour le référencement de l’article. Là où le bât blesse, c’est que cette référence n’est pas indexée par Google ! L’article est en effet réservé aux abonnés. La partie de l’article faisant référence à Pokémon n’est donc pas accessible à tous, Google compris. Une simple recherche permet de vérifier cela : l’article n’apparaît pas lorsque l’on le met en rapport avec Pokémon Go, alors qu’il ressort dans google actu.
Que nous révèle cet exemple ? Tout simplement que de nos jours, l’ensemble des journalistes connait les ficelles de Google. Ils y sont même tellement habitués qu’insérer des sujets « chauds » dans leur article, sans pour autant que le sujet ait un rapport avec le papier, est devenu un automatisme. Ils en viennent donc à modifier sciemment leur article pour plaire au dieu Google, alors même que, dans le cas de notre exemple, cela ne sert à rien.
Le pire dans tout ça, c’est que je ne pense pas que ces techniques marchent sur le long terme et ce pour plusieurs raisons. En essayant de tromper Google, en insérant des mots-clés n’ayant aucun lien avec le billet, les éditeurs s’exposent à deux contrecoups :
- Le consommateur mécontent en premier lieu. Quand vous consultez un article en pensant trouver la réponse à votre question, mais qu’il y a tromperie sur la marchandise, vous n’allez évidemment pas être jouasse. Et quand un même site vous fait le coup plusieurs fois, pas sûr que vous y retourniez. Résultat : perte sèche d’audience pour le site.
- Pénalisation par Google lui-même. Combien de fois ai-je vu des professionnels du SEO (le référencement naturel des sites dans les moteurs de recherche) à deux doigts de se taillader les veines car Google venait de modifier son algorithme pour améliorer la pertinence des résultats ? La réponse : beaucoup. Car bien que Google soit à deux doigts de remplacer tous les êtres humains par des androïds, leur cœur de business reste leur moteur de recherche. Ce qui a fait, et fait encore, le succès de Google, c’est la pertinence de ses résultats. L’entreprise améliore perpétuellement son robot pour déjouer les mauvais tours des éditeurs de contenus fallacieux. Soyez-en sûr, Google est plus fort que tous les petits malins qui croient pouvoir le flouer et il n’hésitera pas à les enfoncer six pied sous terre si ça l’arrange.
Bref, que retenir de tout ça ? Eh bien pas grand chose que vous ne sachiez pas déjà : ce n’est pas parce qu’un sujet « fait la une » qu’il est réellement le plus important du moment. Ceci me fait d’ailleurs penser à cet excellent article : « comment la technologie pirate l’esprit des gens » dans lequel on nous explique que nous proposer une liste de choix, c’est aussi nous masquer toutes nos autres possibilités. N’oubliez donc jamais que ce que vous montre la télé, votre flux Twitter ou Google n’est bien souvent que l’arbre qui cache la foret.
Pour conclure, attention tout de même. Ce n’est pas parce qu’un article n’a pas pour seul but que vous informer qu’il est foncièrement mauvais. Se demander pourquoi un article a été écrit ne doit pas vous faire rejeter toute forme d’information ! Chaque article est écrit pour être lu, donc ne pas en tenir compte sous prétexte que l’auteur l’a écrit en ayant en tête sa visibilité serait stupide. En revanche, vous interroger sur les objectifs de l’article peut vous aider à comprendre pourquoi il est écrit ainsi.
Live long and prosper et soyez sages !
NDLA : Merci à ma chère et tendre pour ses conseils et sa précieuse relecture (comme d’habitude en fait)
J’ai enfin pris le temps de lire avec attention ton article et, en plus de te féliciter, je te remercie pour cet incroyable boulot de synthèse !
En effet nous n’apprenons finalement pas grand chose d’autre que ce constat amer : il y a actuellement un sacré cercle vicieux de la rentabilité en place sur le web, actionné par Google lui-même et qui forcent les journalistes (avec ou sans guillemets) à se demander s’il vaudrait mieux pour les raisons que tu as évoqué, faire marche arrière … ou pas, la course au clic étant.
Bravo Foine 🙂
Et bien que dire si ce n’est : merci !
C’est vrai que le système actuel est plutôt mal foutu. Les dérive qu’il entraîne pénalise la qualité des contenus web et c’est vraiment chiant.
Mais je ne perd pas espoir de voir les choses évoluer dans le bon sens. De plus en plus de sites font fi de la publicité et trouve d’autre moyen de financement. Je pense à Canard PC (entre autre) qui ne contiendra aucune pub mais sera consultable uniquement via abonnement.